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Apparue en 2017 aux Etats-Unis, la théorie du complot QAnon s'est répandue en Europe, et notamment en France, à la faveur de la crise sanitaire.
Thomas Liabot , Mis à jour le
Le phénomène est encore marginal mais QAnon est en train de gagner du terrain en France. Née en 2017 sur le forum 4Chan, cette théorie complotiste soutient l'existence d'un "Etat profond" aux Etats-Unis contrôlé par des élites... pédophiles. Dans cet univers fantasmé, un mystérieux haut fonctionnaire (nommé "Q") distillerait des informations confidentielles pour aider Donald Trump et les partisans de QAnon à déjouer ce complot. Depuis plusieurs mois déjà, des pancartes, t-shirts et casquettes arborant la lettre "Q" se sont répandus dans les meetings du président américain .
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La crise sanitaire, catalyseur des théories du complot
Ces dernières semaines, ils ont aussi fait leur apparition dans les cortèges des manifestations anti-masques en Allemagne et en France. Bien qu'encore confidentiel dans l'Hexagone, le mouvement QAnon a commencé à s'y implanter fin 2019, notamment avec la création du compte Twitter @QanonFrance en novembre, puis la naissance en mars dernier du site qanon-fr.com, détaille un rapport publié par NewsGuard cet été.
La chaîne YouTube "Les deQodeurs", créée en avril pour "analyser l'actualité ou des éléments importants de l’histoire en toute sincérité et sans filtres", selon sa propre description, compte déjà 76.000 abonnés, ce qui en fait un des vecteurs les plus influents de la QAnonsphère française. Enfin, le site dissept.com, fondé en juin dernier pour "informer les français manipulés par les médias traditionnels", compte déjà parmi les 2.500 sites qui génèrent le plus d'engagement en France, selon NewsGuard.
Comme partout, la montée en puissance de QAnon dans l'Hexagone a été facilitée par la crise sanitaire. "Les théories complotistes ont explosé dans le monde entier avec le coronavirus, confirme Tristan Mendès-France, maître de conférence à l'Université de Paris et spécialiste des cultures numériques. La mondialisation du phénomène QAnon se situe plus particulièrement durant la séquence du confinement, qui a projeté une masse extraordinaire d'individus en ligne et a donné une visibilité globale à QAnon."
— Jeff Yates (@Jeff__yates) September 11, 2020De quoi ça a l'air une radicalisation QAnon en direct?
Regardez cette chaîne YouTube de voyages.
Il y a 5 mois, elle ne peut subitement plus voyager en raison de la pandémie. Elle passe de "Vegas Vacation" à "le coronavirus est fake!" à QAnon en deux mois.
Le phénomène s'est aussi servi des mobilisations contre la pédophilie et le trafic d'enfants comme "un cheval de Troie", "phagocytant en partie" le mouvement #SaveTheChildren, poursuit le chercheur, et s'appropriant ses hashtags sur les réseaux sociaux. "C'est un vecteur propice à l'injection de certains éléments de la mouvance QAnon dans les milieux ultra-conservateurs et d'extrême-droite", estime Tristan Mendès-France.
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QAnon a adapté son contenu à la France
Mouvement décentralisé, QAnon s'est répandu en France grâce à Facebook (avec deux pages qui comptent parmi les plus suivies de la QAnonsphère en dehors des Etats-Unis) et YouTube notamment. L'analyse de l'audience du site Qmap.pub (désormais hors ligne), principal agrégateur mondial des messages de Q, fait en effet apparaître une très forte progression de l'audience française ces dernières semaines, même si elle reste faible par rapport à l'audience canadienne et surtout américaine.
Si l'audience de ce site est essentiellement américain 64,18%, on voit que la France est 3e (suivie du Royaume-Uni et de l'Allemagne) avec une forte croissance +20% en un mois. Pas très rassurant. pic.twitter.com/8MpeKkjCWh
— Tristan Mendès France (@tristanmf) September 11, 2020
Comme pour le mouvement anti-masque, le Canada, et surtout le Québec, a servi de passerelle entre les Etats-Unis et la France, notamment en traduisant en français les mystérieux messages de Q. "QAnon infecte des personnalités à forte visibilité, qui avaient déjà un terreau complotiste et deviennent des relais francophones de cette mouvance", explique Tristan Mendès-France. Ainsi, un acteur notable de ce phénomène est Alexis Cossette, "un militant d'extrême droite, complotiste, très relayé et très productif sur ses vidéos", qui est derrière la chaîne YouTube Radio-Québec (114.000 abonnés).
Pour s'implanter en France, QAnon a aussi adapté ses théories au contexte local, une stratégie que l'on remarque dans tous les pays où la mouvance s'installe. Dans son rapport, NewsGuard constate par exemple que la QAnonsphère française décrit Emmanuel Macron comme un "pion" sur l'échiquier de l'élite mondiale. Le site Qactus.fr, lancé en mai 2020, lie de son côté le chef de l'Etat à des réseaux pédophiles, entre autres articles sur la famille Rothschild ou les satanistes. Mais la figure de Donald Trump transcende les particularismes locaux et s'affichent aussi en France : "Il n'est plus seulement le héraut des QAnon américains mais devient une sorte d'étendard, de figure de sauveur", analyse Tristan Mendès-France.
Des Gilets jaunes et des sympathisants d'extrême droite
Sans surprise, le mouvement a commencé à infuser dans les milieux d'extrême-droite en France. Le rapport de NewsGuard notait que le compte Twitter @QanonFrance avait partagé des contenus s'y rapportant, notamment des vidéos d'Alain Soral, condamné en octobre dernier pour injure publique antisémite. Les idées de QAnon ont aussi été diffusées sur des groupes Facebook de Gilets jaunes (un groupe "Gilets Jaunes versus Pédocriminalité" partageant des contenus favorables à QAnon a même été créé en mars 2019), des anti-masques et des groupes soutenant le professeur Raoult.
Considéré par le FBI comme une potentielle menace terroriste aux Etats-Unis, QAnon a bénéficié à l'étranger du soutien de personnalités publiques. Au Royaume-Uni par exemple, le chanteurRobbie Williams a défendu en juin la théorie duPizzagate . En Allemagne, des artistes ont aussi apporté leur soutien à QAnon, tandis qu'en Italie, une parlementaire a évoqué une théorie du complot mêlant Bill Gates à l'"Etat profond", un classique du répertoire QAnon. Aux Etats-Unis, plusieurs candidats républicains ont déjà mentionné ou annoncé leur soutien à la mouvance. Pour l'heure, ce n'est pas le cas en France.